Homélie de notre doyen pour le 7ème dimanche ordinaire C 20 février 2022

1ère lect : 1 S 26,2.7-9.12-13.22-23 2ème lect : 1 Co 15,45-49 Evangile : Lc 6,27-38
« Aimez vos ennemis… faites du bien à ceux qui vous haïssent… souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent… priez pour ceux qui vous calomnient… A celui qui de frappe sur une joue, présente l’autre joue… à celui qui te prends ton manteau… » Quelle audace d’adresser ces paroles non pas à une élite en quête de sainteté mais « à tous ceux qui l’écoutent », à tout le monde !
Bien sûr, si nous pensons n’avoir aucun ennemi, nous trouverons ces paroles très belles .Mais pour peu que quelqu’un, un jour, nous ait fait une « crasse », nous ait blessé, sali ou trahi, pour peu que nous ayons été victimes d’un vol ou d’une agression… alors ces paroles nous deviendront très vite insupportables. Certains diront que Jésus est un naïf, un doux rêveur, qui n’a pas lui-même appliqué ce qu’il a dit : n’a-t-il pas invectivé copieusement les Pharisiens, chassé violemment les vendeurs du Temple ? Et lors de son procès, quand on l’a giflé, a-t-il tendu l’autre joue ?
Mais puisque nous sommes ici au cœur de son message (sa « Bonne Nouvelle »), faisons l’effort de comprendre ce qu’il veut nous dire.
Précisons d’emblée qu’il ne nous donne pas ici des recettes à appliquer telles quelles ; il s’agit d’un état d’esprit. « Si vous aimez ceux qui vous aiment… si vous faites du bien à ceux qui vous en font…si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour… que faites-vous d’extraordinaire ? Moi je vous propose plus : aimer ceux qui ne vous aiment pas…leur faire du bien… prêter sans rien attendre en retour… » Pourquoi ?
Pour imiter Dieu ! Ni plus ni moins ! « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux… aimez…. donnez… pardonnez… comme Dieu ! Et ce sera tout bénéfice pour vous aussi ! Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés…ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés… pardonnez et vous serez pardonnés… donnez et on vous
donnera… ! »
Si Jésus n’hésite pas à mettre la barre aussi haut (à hauteur de Dieu!) c’est parce que notre bonheur et la qualité de notre vie sont en jeu.
Reprenons quelques-un de ses exemples.
- L’amour des ennemis. Ça veut dire quoi aimer ceux qu’on n’aime pas ou qui ne nous aiment pas ? Les sentiments, ça ne se commande pas ! On ne va quand même pas leur sauter au cou !
Justement, il ne s’agit pas de « ressentir » de la tendresse ou de l’affection pour celui qui nous a blessé profondément ; il s’agit de lui souhaiter et de lui faire du bien et non du mal, et de prier pour lui. Pourquoi ? Pour échapper à la spirale de la haine. Ne pas répondre à la haine par la haine mais par l’amour est la seule façon d’en sortir. Car la haine est un poison.
On en a un superbe exemple dans la 1ère lecture qui nous rapporte ce geste plein denoblesse de David qui refuse de se venger de Saül alors qu’il aurait pu invoquer la légitime
défense (Saül a essayé de le tuer…). - La non-violence : « A celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue ». Il ne s’agit pas d’encourager la violence et d’inviter l’autre à me frapper (« Fais-moi mal, j’aime bien »). Il s’agit de trouver une autre réponse que la violence. Sinon on n’en sort pas. Pire : si je rends les coups, alors la violence qui jusque là m’atteignait de l’extérieur s’installe maintenant en moi et me contamine de l’intérieur ! (Une société qui pratique la « peine de
mort » reproduit la violence qu’elle réprouve… et les chiffres montrent que ça ne fait pas baisser la criminalité, au contraire!) Tendre l’autre joue n’est pas une recette ; c’est une provocation courageuse pour sortir du cercle vicieux de la violence. Gandhi y a trouvé l’inspiration de son action non-violente. - Le don. « Donne à quiconque te demande.. et à qui prend ton bien, ne le réclame pas ». C’est encore une provocation : il faut l’entendre . Il ne s’agit en aucun cas d’encourager le vol (ne laissez pas traîner vos clés de voiture…) ni même de donner sans aucun discernement (ce n’est pas la meilleure façon d’aider quelqu’un à s’assumer). De nouveau Jésus nous invite à un déplacement, un questionnement, un dépassement. Reconnaissons-le : pour la plupart d’entre nous, le risque est plutôt de donner trop peu que de donner trop !
- Le pardon. « Pardonnez et vous serez pardonnés » . Sans doute y a-t-il y lien entre le pardon que l’on donne et le pardon que l’on reçoit. Et c’est vrai aussi que le pardon fait autant de bien à celui qui le donne qu’à celui qui le reçoit (C’est une libération pour les
deux). Mais c’est parfois si difficile de pardonner ! Et de demander pardon ! Dans bien des cas, nous y arriverons que si la force nous en est donnée (Il faut donc la demander).
Faut-il le rappeler ? Pardonner n’a rien à voir avec « oublier » (comme s’il n’y avait rien eu), ni avec « passer l’éponge » ou « minimiser » (comme si ce n’était pas grave). Pardonner c’est « tourner la page » : la page précédente est toujours là, mais on en ouvre une autre.
Pardonner c’est une manière de dépasser le mal, de permettre un nouveau départ, et de ne pas réduire l’autre à la faute qu’il a commise. Seul Dieu est capable de pardonner… mais Jésus ose nous inviter à l’imiter ! C’est en tout cas le chemin qu’il a suivi lui-même lors de sa Passion (où il a été giflé, accusé, humilié, dépouillé et tué). A toute cette haine et cette violence, il a répondu par l’amour et
le pardon à fond perdu ; mais ce faisant, il a ouvert un « passage » lumineux et apporté un vrai « salut » à l’humanité !
Si quelqu’un vous dit que toutes les religions racontent la même chose, invitez-le à lire cette page d’évangile et à trouver quelqu’un d’autre qui aurait poussé aussi loin l’exigence de l’amour …